Le CSTB a réalisé cinq démonstrateurs pour automatiser l’étude des règles techniques d’une maquette numérique. L’objectif est de formaliser, simplifier et rationaliser ces processus. À l’avenir la rédaction des normes, labels, instructions techniques, DTU, méthodes de calcul, Eurocodes pourrait même être à reconsidérer. Une innovation aux perspectives passionnantes, Oui !

Les technologies sont maintenant matures pour répondre à la numérisation des règles. On sait maintenant que lʼinformatique suivra. Pour arriver à ce résultat, le CSTB a dû défricher un domaine sur lequel il y a déjà eu quelques recherches. Ces travaux, complexes, suscitent lʼintérêt des experts nationaux de la construction autant que de leurs collègues européens. Car il sʼagit dʼun travail résolument innovant et qui ouvre des perspectives passionnantes pour définir le contenu des contextes réglementaires du bâtiment de demain. Pratiquement lʼidée consiste à exploiter les processus BIM et « étudier la faisabilité de nouvelles formulations d’exigences technico-réglementaires au travers d’interrogations automatiques des maquettes numériques en format IFC », détaille le cahier des charges.

LʼIFC (Industry Foundation Classes) est un standard ISO, considéré comme le format ouvert pour lʼéchange dʼinformation autour de la maquette numérique dans le bâtiment, mais sera-t-il suffisant pour répondre aux besoins règlementaires ? Ouvert aux éditeurs pour proposer leurs propres logiciels Pour cela plusieurs étapes et objectifs sont assignés aux chercheurs du CSTB. Dʼabord organiser une méthodologie permettant de définir la référence de la transposition numérique des règles (réglementations, règles de lʼart). Ensuite émettre des préconisations visant à généraliser cette transposition. Enfin, réaliser des applications réelles – ou démonstrateurs – sur plusieurs domaines bien définis afin de prouver la faisabilité informatique. Une fois réalisés, ces démonstrateurs ont vocation à être enrichis puis intégrés à la plateforme collaborative Kroqi pour quʼils puissent être testés par les praticiens et plus particulièrement ceux des TPE et des PME de la construction.

Des cas pratiques qui couvrent l’éventail des besoins Le premier travail a donc, tout naturellement, consisté à définir cinq cas dʼusage très variés pour servir de test (voir lʼencadré). Ils ont été choisis par le comité de pilotage du PTNB en fonction du domaine réglementaire, du type de bâtiment, des étapes dʼavancement dʼun projet. Ces cas pratiques couvrent lʼéventail des besoins en termes dʼisolation acoustique, de calculs pour obtenir le label bâtiment à Énergie Positive et Réduction Carbone (E+C-), la réglementation sur lʼaccessibilité, le respect des DTU concernant les cloisons de plâtres, et les impératifs liés à la sécurité incendie. Pour chacun, lʼobjectif est de confronter la maquette numérique à une traduction numérique des normes, règlementations, DTU ou labels actuellement en vigueur dans la construction. Une méthodologie pour passer à un langage simple Pour chaque cas dʼusage, un groupe de travail dʼexperts de chaque domaine réglementaire (bureaux de contrôle, bureaux dʼétudes, architectes, entreprises, experts CSTB, …) a été constitué. Leur méthodologie a dʼabord consisté à traduire le contenu rédigé de chaque règle en langage simple et logique. Le texte semi-formalisé qui en résulte est alors découpé en un langage facile à comprendre car décomposé en phrases élémentaires, logiques et sans aucune ambiguïté. Cette retranscription est ensuite modélisée sous forme de schémas dʼanalyse informatique puis programmée en code afin de réaliser le démonstrateur qui analysera automatiquement la maquette numérique dʼun projet. Pratiquement, pour chaque cas, il convient de définir un vocabulaire et une grammaire – du type « si la hauteur dʼune marche dʼescalier est supérieure à x cm, alors… » – que les analystes programmeurs pouvaient reprendre en code informatique.

Lʼobjectif est de maintenir une correspondance directe entre la règle écrite en langage naturel et sa transcription numérique tout en maintenant la compatibilité avec le BIM. Ce qui est évident à l’homme ne l’est pas pour la machine La question de la définition et du contenu informatif des objets composant un bâtiment doit alors nécessairement être abordée. En effet, ce qui semble évident à lʼhomme ne lʼest pas forcément pour la machine. En sécurité incendie, par exemple, certaines règles renvoient à la hauteur du plancher de lʼétage le plus élevé. Si la notion de « dernier étage » est implicite et immédiate pour un humain, elle nʼexiste pas en tant que telle dans le langage du BIM et une machine aura besoin quʼon lui définisse exactement ce quʼest lʼétage le plus élevé. Pour y répondre, la solution adoptée consiste à coupler le BIM avec les technologies du web sémantique, afin de pouvoir établir des correspondances entre le vocabulaire du BIM (étage, porte, mur, …) et les notions manipulées dans les textes règlementaires (cheminement horizontal, zone protégée, espace de retournement, …).

Lʼapplication enrichit alors la maquette numérique, y rajoute des notions règlementaires ou normatives. Comme par exemple les zones obligatoires de retournement en accessibilité, les espaces protégés ou de refuge en cas dʼincendie. Seules les règles parfaitement définies sont vérifiées Une fois la maquette confrontée aux règles définies par le logiciel, le système formalise et édite un rapport dʼanalyse qui est intégré au BIM. Cela signifie que lʼapplication ne réalise pas de simulation (calcul de structure, thermique, acoustique, …).

Seules les règles qui ont parfaitement été définies par chacun des cinq groupes de travail sont vérifiées. Dans la pratique, les démonstrateurs pour lʼaccessibilité ou la sécurité incendie ne contrôlent que la conception de la maquette. Ceux de la mise en œuvre des parquets ou des cloisons de plâtre optimisent les solutions et listent les indications méthodologiques et les paramètres à respecter. Ou encore pour le démonstrateur label E+C-, lʼapplication assure lʼintégration de la démarche thermique et carbone du label, telle que renseignée via les processus BIM. Le recours aux spécialistes reste nécessaire À ce stade, un constat confirme clairement la limite de lʼexercice : la numérisation automatisée des règles, si elle représente une étape importante pour assister les concepteurs et bureaux dʼétudes, elle nʼest pas suffisante pour garantir le respect de lʼensemble des règles actuelles complexes.

En dʼautres termes, le recours à des spécialistes règlementaires reste plus que jamais nécessaire. Les applications informatiques ne remplaceront pas lʼhomme dont lʼavis et la subjectivité restent essentiels. Les nouveaux outils automatisés resteront surtout des gardes fous pour surveiller des solutions ou des processus déjà rodés. Pour toutes les conceptions mettant en œuvre des solutions originales ou novatrices, il y aura toujours besoin de bureaux dʼétudes et dʼexperts spécialisés. Formaliser la réglementation actuelle et à l’avenir Les 5 démonstrateurs ont été mis au point informatiquement. Les premiers tests montrent quʼils sont capables de répondre, aujourdʼhui, à près de 30% des règles définies dans chaque domaine. À terme, ils pourront être intégrés à la plateforme Kroqi, de la même façon que le sont actuellement les détecteurs de clash de conception architecturale ou technique. Cette recherche autorise aussi à formaliser la réglementation actuelle, à la maintenir, et à présager de la forme et du contenu quʼelle devrait prendre à lʼavenir.

En effet, les textes actuels comportent de nombreuses ambiguïtés quʼil faudra nécessairement lever. Du type : faudra-t-il définir le niveau dʼun garde-corps en mentionnant autre chose quʼune « hauteur suffisante ». Plus difficile, certaines obligations restent intraduisibles en langage logique, comme par exemple celles qui indiquent quʼune signalétique doit être clairement visible dans un bâtiment de type ERP. Des outils ouverts de type OpenBIM À lʼavenir cʼest donc la rédaction même des règles qui pourrait être à reconsidérer. Le chantier est ouvert notamment depuis lʼadoption, le 10 août 2018 de la loi pour un État au service d’une société de confiance, dite loi ESSOC.

Lʼexpérience montre quʼil est maintenant possible de traduire et formaliser une règle en informatique dès que les experts lʼont semi-formalisée ou réécrite en langage naturel. Le seul frein est la façon dont sont écrites les règlementations actuelles. Il faudrait donc les simplifier et les rationaliser. Pour cela, elles devraient être de moins en moins qualitatives, et de plus en plus quantitatives.

De plus en plus il faudra définir des quantités, des seuils, des valeurs réelles et chiffrées. De nombreux bureaux dʼétudes planchent déjà sur ce nouveau concept de numérisation des règles. Individuellement ou en partenariat avec des maitres dʼouvrage et des maitres dʼœuvres. Leur démarche est similaire à celle suivie par le CSTB. Pour autant, la plupart utilisent des standards propriétaires dédiés à un seul logiciel de type CAO/BIM.

Demain, ils devraient proposer des outils ouverts de type OpenBIM. Cʼest-à-dire interopérables et exploitables par toutes les applications et toutes les maquettes numériques issues des applications informatiques.