Sur le terrain, onze équipes ont déjà testé 3 040 carnets numériques du logement. Ces outils rassemblent les informations utiles à la gestion et à l’amélioration des performances des logements.

 

Expérimentation en vraie grandeur

Avant de rédiger le décret dʼapplication qui précise les modalités pratiques de mise en œuvre de la loi, le gouvernement a souhaité consulter les professionnels pour les associer à lʼélaboration de ce texte. Le PTNB a ainsi été chargé de lancer un appel à projets visant à expérimenter plusieurs solutions de carnet numérique déjà proposées par les acteurs du marché.

Onze lauréats ont été retenus pour confronter en vraie grandeur leurs solutions aux fonctionnalités variées sur tous les types de configurations : habitat neuf et existant, tertiaire, propriétaires et occupants, particuliers et professionnels… Au total, 151 000 particuliers ont été contactés et sensibilisés au carnet numérique et plus de 415 acteurs relais ont été mobilisés. Parmi ces derniers, se trouvent des réseaux de partenaires, des promoteurs-constructeurs, des professionnels du bâtiment, des opérateurs proposant des dispositifs dʼappui à la rénovation, des collectivités territoriales. 3 040 carnets ont ainsi été créés.

À lʼissue de lʼexpérimentation, 505 testeurs des solutions de carnet numérique ont pu exprimer leur avis sur ces outils, permettant dʼapporter des retours dʼexpérience concrets. Une société de conseil a été chargée par le PTNB de réaliser le suivi, lʼanalyse et la valorisation des expérimentations menées. Son étude montre des pistes de mise en œuvre opérationnelle de lʼoutil.

 

Simple et attractif pour convaincre les particuliers

Les différentes versions de carnet numérique expérimentées se présentent sous la forme dʼune plateforme numérique accessible à tout moment depuis un ordinateur, une tablette ou un smartphone. Certaines solutions sont également accessibles via une application dédiée. Ainsi, le carnet doit être ergonomique et facile à utiliser, y compris par les populations peu familiarisées avec les outils numériques. Lʼexpérimentation montre aussi que le carnet doit être flexible, capable de sʼadapter aux besoins de ses utilisateurs et à leur évolution, en garantissant la continuité du service. Lʼoutil doit également sʼadapter aux spécificités du bâti, et notamment à celles de lʼhabitat collectif qui nécessite des fonctionnalités complémentaires. Les équipes lauréates ont dû constater que leurs carnets numériques étaient peu utilisés pendant la période dʼexpérimentation.

Plus de la moitié des utilisateurs potentiels ne se sont même pas connectés à lʼoutil après leur inscription. Et jusquʼà 70 % des autres utilisateurs se sont contentés, après une première connexion, de consulter le carnet sans y intégrer des données ou des documents de base. Pour garantir lʼutilisation de lʼoutil sur le long terme, les utilisateurs doivent avoir envie de le découvrir et de le manipuler au quotidien. Il faut donc leur proposer des outils attractifs et les sensibiliser aux enjeux environnementaux et énergétiques et à la gestion de leur logement. Les utilisateurs ont besoin dʼêtre assistés dans la manipulation de lʼoutil et incités à utiliser leur carnet régulièrement, par exemple grâce à des systèmes dʼalertes et des notifications ou à des fonctionnalités liées au quotidien générant des connexions fréquentes.

 

Oui à l’ouverture

Au-delà du stockage des données et des documents relatifs aux caractéristiques du ménage (données “administratives”), du logement, des équipements, des matériaux et des travaux réalisés, certains carnets expérimentés proposent des fonctionnalités dynamiques. Il sʼagit par exemple du suivi des actions sur le bâtiment, de conseils associés (éco-gestes, changement dʼopérateur), du suivi de la performance énergétique (à partir de données de consommation), de connexion à des plateformes de services associés au logement (bricolage, déménagement), de fonctionnalités liées à la vie quotidienne (fil dʼactualité, mise en relation, météo…).

Par ailleurs, la connexion du carnet à des outils et bases de données existants, comme la maquette numérique, semble essentielle pour assurer la cohérence de ces outils et limiter lʼeffort de collecte de données. Lʼétude insiste aussi sur la notion dʼinteropérabilité, indispensable dans la gestion des carnets. Chaque utilisateur peut ainsi choisir lʼopérateur de son choix. Mais surtout, les données relatives aux parties communes dans les copropriétés peuvent être partagées afin de mesurer la performance de lʼimmeuble dans son ensemble. Les lauréats estiment pour la plupart que les données techniques rattachées au logement doivent pouvoir être transmises, au contraire des données personnelles dont la maîtrise reste totalement réservée au propriétaire ou au locataire.

 

Dans le respect de la confidentialité

Si le carnet numérique sʼadresse en priorité aux particuliers, il peut aussi être utile aux professionnels du bâtiment, notamment de la rénovation énergétique. Il simplifie les démarches des artisans pour élaborer leurs devis, facilite les échanges et les prises de décision collectives pour les syndics, permet de vérifier lʼefficacité énergétique des bâtiments pour les collectivités, etc.

Pour permettre lʼutilisation dʼun même outil par ces différents acteurs, les équipes ont défini plusieurs niveaux dʼaccès à leurs carnets. Mais les particuliers se sont montrés méfiants vis-à-vis de la sécurité et de lʼutilisation de leurs données personnelles, malgré les systèmes de sécurité développés par les équipes (mécanismes de sauvegarde, serveurs sécurisés, cryptage, mots de passe forts, etc.).

La gestion des données personnelles doit donc être encadrée de manière stricte par les opérateurs de carnets, en lien avec les évolutions réglementaires en la matière, notamment le nouveau règlement européen sur la protection des données.

 

Le financement en question

La pérennité du carnet numérique est en grande partie conditionnée par lʼéquilibre de son modèle économique. Durant lʼexpérimentation, le développement informatique (59 %) et la communication et lʼanimation du panel dʼutilisateurs (30,5 %) ont mobilisé la majorité des moyens nécessaires à la création et à la gestion des carnets.

Mais à long terme, les coûts fixes devraient diminuer, selon les lauréats, et plus de 80 % des coûts des carnets seront des coûts variables. Le modèle économique doit donc permettre dʼamortir les coûts fixes, qui pourraient augmenter en fonction des besoins dʼhébergement et de sécurisation, et dʼabsorber les coûts variables dont le montant est évalué de 2 à 12 euros par carnet et par an en fonction des solutions. Pour certains des futurs opérateurs, le carnet doit être gratuit pour inciter lʼadhésion des particuliers et permettre le développement massif de cet outil qui doit gagner en légitimité avant de devenir un service payant. Néanmoins, la contribution des utilisateurs peut constituer une source de financements essentielle à lʼéquilibre économique du carnet et les encourager à utiliser cet outil qui leur aura été facturé.

Différents modèles économiques sont envisagés par les lauréats, comme lʼabonnement à partir dʼun euro par mois, la licence payée une seule fois ou le “freemium” qui consiste à proposer un service de base gratuit et des fonctionnalités complémentaires payantes (connexion avec les compteurs intelligents ou des outils de gestion du patrimoine, augmentation de lʼespace de stockage, etc.).

Les lauréats envisagent de faire payer ces frais par le propriétaire (privé ou bailleur), par les promoteurs/ constructeurs dans le neuf, voire par lʼÉtat.

 

Pas de déploiement massif sans obligation

Les équipes de lʼexpérimentation admettent que le déploie- ment des solutions développées nécessite encore quelques améliorations techniques (robustesse des prototypes, amélioration des interfaces métiers) et un renforcement des moyens humains dédiés pour supporter la massification des carnets et garantir un service de qualité. Mais cʼest la publication du décret dʼapplication et lʼentrée en vigueur de lʼobligation de création et de mise à jour du carnet qui seront les facteurs déterminants du déploiement et de la massification du carnet.

Les dates dʼentrée en vigueur de lʼobligation du carnet numérique ont été revues en octobre 2018 par la loi Elan portant évolution du logement, de lʼaménagement et du numérique. Lʼobligation en neuf portera sur les permis de construire déposés à partir du 1er janvier 2020. Pour les logements existants, le carnet sera exigé à partir du 1er janvier 2025 : tout changement de propriétaire d’un logement par vente, donation ou héritage entraînera l’obligation d’instaurer un carnet. Celui-ci sera ensuite transmis à lʼoccasion des mutations.

La seule réglementation ne sera toutefois pas suffisante pour créer une réelle dynamique autour du carnet numérique, estiment les futurs opérateurs. Une communication par les pouvoirs publics semble indispensable auprès du grand public et de lʼensemble des acteurs de la chaîne de valeur du bâtiment, potentiels partenaires ou autres utilisateurs du carnet (professionnels, gestionnaires, etc.).